"Les bonnes choses arrivent à leur terme par des voies détournées.
Elles font le gros dos comme les chats elles ronronnent intérieurement, sentant que leur bonheur approche. Toutes les bonnes choses rient. L’allure de la marche trahit si l’on est dans la bonne voie.
Mais quand on approche du but, on danse.”
Ainsi parlait Zarathoustra
En ce temps-là, tout allait bien sur la planète du Capital : les étudiants étudiaient, les gouvernants gouvernaient, les travailleurs travaillaient, les grévistes grévaient, les patrons patronnaient, les contestataires contestaient, les casseurs cassaient, les payeurs payaient. Bref, toutes les fonctions fonctionnaient à merveille. Chacun tenait sérieusement son rôle dans la représentation de la vie, jouée
quotidiennement, par l'ensemble de la population planétaire,
pour des spectateurs inexistants ‑ depuis la mort de Dieu,
personne ne s'intéressait plus dans le cosmos à cette comédie
du recommencement.
Or voici que deux gosses comme les autres, échappés par miracle
‑ ou par erreur ‑ à la programmation de la mise‑en-scène, se mirent
pour un moment à jouer tout seuls leur propre jeu, réinvantant pour
eux une sauvagerie que le Grand Œuvre de la Civilisation croyait
avoir définitivement abolie. Une école brûla. Quelques flammes
montèrent, éclairant en un éclair toute la réalité cachée sous le monde
des apparences.
Réunis en Concile Secret, les metteurs‑en‑scène du Capital, délégués de tous les corps de ballet ‑ gouvernements, syndicats, églises, gauchistes, etc… décidèrent alors de continuer le spectacle planétaire comme si l’acte fou de ces deux enfants n’avait été qu’un sketch prévu. Ils essayèrent d’improviser la suite, en rejouant le vaudeville bien connu
de la Contestation.
Il fallut alors s’occuper des Jeunes, chez qui les flammes de l’incendie avaient réveillé quelques désirs sauvages bien inquiétants. On leur offrit une loi à contester ‑ alors que l’incendie volontaire de Pailleron visait clairement la destruction de l’école, on détourna les jeunes de cet extravagant projet, en les mobilisant comme lycéens. Ils se mirent en grève, manifestèrent, comme cela devait être, mais sans le sérieux attendu, sans la violence espérée, sans conviction contestataire. Les jeunes participèrent au simulacre, en sachant bien que c’était un... Et la mise‑en‑scène de la révolte, scolarisée par la grève lycéenne, se mit en vacances scolaire... ENTR’ACTE...
Dès lors, chacun comprit quelle pièce on allait jouer. Pour exorciser cette naissante sauvagerie, on lui offrait de répéter “Mai 68”, c’est-à-dire. surtout d’en confirmer les conclusions. Une centaine d’OS en grève à Renault, et les informations mirent en évidence l’analogie avec Mai 68 tandis que les Anciens Combattants ressortaient des oubliettes en chantant “5 ans déjà, coucou nous revoilà”.
À Saint‑Etienne, l’usine Peugeot fut occupée. La représentation continuait. Après les lycéens, les ouvriers furent invités à se manifester comme ouvriers,
à s’opposer aux patrons sans s’opposer au travail, à perpétuer comme fausse communauté l’entreprise, en protégeant l’usine, à témoigner de leur soumission aux machines en en prenant soin, sous la houlette des Syndicats. Or voici que ce ballet classique, inauguré en 1936, repris en 1968 ne se déroulait plus selon les règles. À l’intérieur de la représentation s’ébauchaient des gestes déconcertants. L’ordre du travail et de ses instruments était en danger.
De nouveau rassemblé, le Concile décida de changer de numéro :
les patrons firent évacuer l'usine par des commandos, et les syndicats
organisèrent la protestation.
Mais au lieu de manifester unitairement, sérieusement, combattivement
comme une bonne classe ouvrière qui se respecte, les ouvriers jouèrent
la comédie jusqu’au bout, en ne s’intéressant qu’aux CRS et en renvoyant dos-à-dos le service d’ordre syndical et celui des flics. La comédie de la manifestation, devint farce. La guerre n’eut pas lieu.
Trois jours plus tard, le “mouvement Peugeot” se détourna sur l’usine Jacquemart, en dépit des convenances, selon lesquelles les entreprises sont solidaires, mais distinctes. Et là, la comédie atteignit son sommet, lorsque les manifestants firent valoir leur volonté de pénétrer dans l’usine fermée, tout en se gardant bien de faire le nécessaire pour y parvenir ‑ à la porte du concierge. on sonna, on crocheta la serrure, sachant qu’ainsi elle ne s’ouvrirait pas, alors qu’on aurait pu la défoncer
d’un coup d’épaule.
Et, après qu’on lui eut marché sur le pied, tiré les doigts, et pincé le flanc,
e patron Paul Jacquemart porta plainte pour “coups et blessures”...
Corrolairement, la grève de la faim des travailleurs immigrés,
revendiquant dans son contenu ‑ par la voix de son syndicat déguisé
en Comité de Soutien ‑ l’égalité du degré d’exploitation pour tous les ouvriers,
prit soudain la forme d’une manifestation dansante devant le portail de la Préfecture.
Pour la première fois, on franchit la frontière tabou, respectée jusque
là par toutes les manifs, de l’accès à la préfecture, et l’on joua
joyeusement le simulacre de son assaut. Le Préfet refusa de
recevoir la délégation, allégeant que la préfecture était en état
de siège. Ce jour‑là, Bakounine dansa.
Au Concile, les Cardinaux politiques, syndicalistes, révolutionnaires, sont inquiets. La représentation s’est déroulée comme prévu : l’apparence des choses est celle de 68 ‑ quoique, jusque dans la représentation de l’apparence, se révèle malgré tout l’accélération du mouvement, dans le fait que Mai 68 se présenta positivement comme le remake de 36, trente ans après, et le mouvement actuel comme remake
de 68, juste cinq ans plus tard.
Mais là où ça sent le roussi, c’est qu’au lieu de faire prendre ce fantôme de révolution pour la réalité, la manœuvre n’a réussi qu’à rendre plus évidente la réalité de ce qui se révèle encore de manière fantomatique au‑delà de cette apparence. Ayant annoncé qu’ils continueraient la grève jusqu’aux congés d’été s’il le fallait, les ouvriers de Peugeot ont annoncé de façon détournée leur désir de n’être plus des ouvriers, comme les OS de Renault, refusant leur statut d’OS, refusent en fait leur condition de travailleurs.
Les tristes bouffons de la politique continuent à s’agiter à la limite des apparences, tandis que déjà la réalité du mouvement commence à danser et à rire, à faire table rase du poids des choses et du passé, en n’entrant pas dans le jeu politique de l’antagonisme du malheur et de la terreur.
Le mouvement qui se dessine avec une passion nouvelle affirme d’ores et déjà
MAI 68 N’AURA PLUS LIEU...
...ET TIRE SA POÉSIE DE L’AVENIR.
Paul, le 7 avril 1973
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DERNIÈRE HEURE
Répétition de la répétition : le Comité des Souteneurs aux immigrés un grève
de la faim voulut refaire le coup sérieusement, cette fois, du cortège à la Préfecture. La précédente manif avait hué spontanément les négriers en passant devant les bureaux de BIS et Manpower, cette fois, les mêmes slogans furent officiellement repris au mégaphone, et peu suivis.
Devant le Palais du Préfet, les bergers syndicaux et politiques empêchèrent leur troupeau de bloquer l’artère principale par un sit‑in dans l’intention de ne pas répéter le paragraphe qui avait été précédemment le départ vers le simulacre de siège de la Préfecture, de fait, il ne fut plus question d’assiéger, mais d’envahir.
Et quelques fous escaladèrent joyeusement le Grand Balcon. Bakounine enfin prenait la préfecture, et dansait ! Les vitres du Grand Salon préfectoral se brisèrent comme un éclat de rire...
Devant ce simulacre d’envahissement, le pouvoir ne pouvait que réagir sérieusement, bêtement, grotesquement en envoyant ses troupes. De fait, les Gardes Mobiles se déployèrent, essuyèrent quelques volées de cailloux,
et chargèrent… Il n’y eut pas de barricades. Le soir même, les camarades
arrêtés furent relâchés.
"LE SONGE D'UNE NUIT DE PRINTEMPS OU SI L'ÉTAT DE SIÈGE À ST-ÉTIENNE M'ÉTAIT CONTÉ" fichier PDF
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